Détail de l’expérience de salaison-fumage sans modèle archéologique défini, mais avec l’emploi exclusif de matériaux existants à l’âge du Fer.
La méthode de salage n’a pas du tout évolué. Historiquement, cette expérience présente un intérêt limité, mais dont le détail est nécessaire pour la suite de l’essai. J’ai trouvé que le choix du morceau était important, car Caton mentionne un morceau avec de la peau, qui, peut-on supposer, protège la viande d’une dessication trop forte, causée par le sel, ou de l’attaque des insectes. Après examen des divers morceaux de porc salés au cours de l’âge du Fer et évaluation de leur prix avec un boucher, il m’a été conseillé de commencer par un morceau de palette (partie basse de l’épaule), qui se rapproche le plus du jambon pour un budget limité.
Au moment du salage, il faut être attentif à plusieurs choses :
* la répartition du sel, non seulement autour du morceau, mais également dans les replis entre la peau et les graisses où le développement bactériologique est le plus probable. Cela est arrivé au moment du salage, mais a rapidement pu être rattrapé.
* le poids à poser sur le morceau est aussi important, car c’est ce poids qui permet le dégorgement du sang tout au long du processus. Pour se donner une idée, Caton parle du poids de plusieurs jambons, posés les uns sur les autres et qu’il faut régulièrement retourner pour homogénéiser le dégorgement. D’autres auteurs (Columelle, peut-être), ne précisent pas de retrourner les morceaux.
* la taille du contenant, qui conditionne la quantité de sel à utiliser. Si Caton préconise environ « ½ modius » de sel pour un jambon (soit environ 4,25 kg pour 5/6 kg de viande, os et couenne compris), c’est à la fois relatif à la quantité de sang dégorgé et à celle que le pot peut accueillir en sel. Dans mon cas, la bassine utilisée a nécessité 10 kg de sel pour 2 kg de viande, car sa taille n’était pas adaptée.
* la durée du salage, qui dépend de la quantité de sel dont on souhaite que la viande soit imprégnée. Sans que la tentative soit encore faite, il est possible de supposer qu’une version sans fumage nécessiterait un temps de salage plus long. Le morceau de palette. La palette est restée une semaine dans le sel, ce qui semble très bien d’un point de vue conservation, mais un peu superflu au goût, ce qui reste subjectif. Le sel utilisé doit être le plus brut possible et surtout ne doit pas être fin (trop de conservateurs). La présence ou l’absence d’os doit également avoir une incidence sur la durée du salage, puisque cela induit un manque ou un apport de chair.
L’environnement extérieur n’a pas semblé être un élément incident de l’expérience, en dépit des remarques qui préconisent plutôt un air froid. Il faudra multiplier les tentatives en période chaude ou dans un environnement très humide pour le vérifier vraiment, mais cela a été le cas pour la palette et le salage a tout de même réussi.
Pour le séchage, Caton distingue deux étapes ; une première étape consiste en un séchage « à l’air », et une seconde, aborde la « conservation définitive, dans un charnier ». La palette a donc été suspendue dans la même pièce qui a servi au salage, dans un sac en toile, proche de ce qui pouvait se faire en lin à cette époque.
Il reste encore un peu de séchage pour que la pièce soit tout à fait conservée, mais après une semaine passée dans les mêmes conditions, malgré un temps alternativement humide puis sec, frais puis plus chaud, aucune différence n’est constatée. Les prochaines remarques se feront à la fin de la semaine, c’est-à-dire sept jours après la fin de la réalisation.
Observations sur le montage du fumoir
Le fumoir a été réalisé avec peu de moyens, pour des raisons financières et techniques ; dans la documentation, les fumoirs protohistoriques ne sont pas retrouvés et on suppose que les quartiers de viande étaient suspendus au-dessus du foyer principal dans les maisons. On commence à retrouver des traces de pièces dédiées au salage-fumage à partir du Ier siècle, ce qui est tardif mais pas nécessairement inexistant aux époques antérieures. Il est probable que la production augmentant, l’échelle ait évolué, d’où l’existence de constructions spécifiques pouvant accueillir une grande quantité de viande. Le choix a été fait de réaliser une structure d’échelle la mieux adaptée à la taille de la palette, pour des raisons évidentes de place, qui combine à la fois une méthode de simple suspension au-dessus d’un foyer et celle d’un enfumage dans un lieu clos.
La réalisation a d’abord compris un simple pot en terre cuite, percé sur sa partie haute, qui devait faire office de cloche. La partie basse, accueillant les cendres, était simplement creusée dans la terre.
La terre du trou a servi à colmater les ouvertures entre le trou et le pot, pour limiter l’échappement de la fumée. Une ouverture en pente permet d’introduire le combustible dans le foyer, rebouchée par de la tuile cassée.
Après quelques essais, il s’avère que le fumoir en pleine terre reste beaucoup trop humide pour être fonctionnel. Il faut donc assécher la partie inférieure, car sans cela la fumée est partiellement absorbée dans la terre. Au vu des matériaux disponibles à cette époque, le choix s’est porté sur un autre pot en terre cuite.
Comme pour les restitutions tardives, la structure fonctionne mieux. Elle n’absorbe plus la fumée mais la renvoie. Moins qu’un fumoir classique, dont les premiers modèles sont datés du Ier siècle avant J.-C. au plus tôt, il s’agit ici de simuler une suspension au-dessus d’un foyer, comme cela est supposé pour les fumaisons particulières protohistoriques.
La pièce a été suspendue, mais la durée de fumage a représenté une vraie difficulté. Il a fallu en effet entretenir les braises pour permettre un bon fumage, ce qui était possible au cours de la journée, mais pas pendant la nuit. Il était donc nécessaire de limiter au maximum la déperdition de fumée, tout en laissant suffisamment d’oxygène pour permettre la combustion. Cette étape n’a pas réussi, probabalement à cause de l’installation trop sommaire de la structure ou du manque de braises.
Le choix a donc été fait de fumer la palette par intermittence (trois fois deux heures environ, réparties sur deux jours), en recréant de nouvelles braises dans un autre foyer.
La suspension de la pièce a également présenté des difficultés, dans la mesure où son état n’était pas vérifiable au cours de la fumaison. Cette étape a donc été réalisée complètement à l’aveugle, avec comme combustible des copeaux de sapin, essence que l’on devait retrouver dans les Ardennes au IIIe siècle avant J.-C.
Il faut noter, à l’issue de l’expérience, que la partie basse de la palette a commencé de cuire, ce qui induit que la taille des pots n’était pas bien proportionnée à celle de la viande. Cela a toutefois renforcé l’efficacité du fumage, puisque la fumée était plus dense.
Conclusion : les apports pour les Caeroesi
Pour l’instant, cette expérience n’est pas d’un grand intérêt historique à mon sens, mais elle permet de vérifier les conditions de faisabilité des salaisons. S’il existait une période de prédilection pour ce genre d’activité, l’archéozoologie témoigne que les âges d’abattage des animaux sont variables et que les périodes d’abattage doivent également l’être. Seule exception, les petits, dont la période d’abattage correspond à celle intervenant quelques mois après les naissances, donc souvent le mois de juin. Il est donc probable que la charcuterie et la viande salées soient préparées plus aisément l’hiver, quand les animaux ont suffisamment engraissé, mais l’absence d’incidence des conditions extérieures sur la salaison peut laisser supposer que cette activité était pratiquée n’importe quand. Cette hypothèse reste toutefois le résultat seul de mes observations.
Cette tentative va toutefois faire l’objet d’une maquette de restitution des fours tardifs pour mieux comprendre leur fonctionnement et peut-être l’adapter à des structures de bois. Il s’agit donc d’un point de départ à une recherche plus large sur les techniques de fumage.
SOURCES
Caton, De Agricola, VXII
Strabon, Géographie, tome IV, chap. 3 et 4, tome V, chap. 1, paragraphe 12 (abrégé en V, I, 12)
Le boucher du magasin
BIBLIOGRAPHIE
Deschler-Erb Sabine, « Viandes salées et fumées chez les Celtes et Romains de l’Arc Jurassien », actes journée de recherche des 21-22 octobre 2005 : Mandeure, sa campagne et ses relations d’Avenches à Luxeuil et d’Augst à Besançon, in Cahiers d’archéologie jurassienne, n°20, consulté le 25-04-2018. URL : https://doc.rero.ch/record/31566/files/CAJ20JAFAJ2005.pdf
Bugnon Dominique, Dafflon Luc, « Des séchoirs-fumoirs gallo-romains à Ursy », in Cahiers d’Archéologie fribourgeoise, n°2/2000, 2000, consulté le 25-04-2018. URL : http://doi.org/10.5169/seals-388991
D’Errico Francesco, Moigne Anne-Marie, « La faune classique-héllenistique de Locres : écologie, élevage, dépeçage », in Mélanges de l’École Française de Rome, t. 97, n°2, 1985, pp. 719-750, consulté le 02-05-2018. URL : https://www.persee.fr/doc/mefr_0223-5102_1985_num_97_2_1476